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Algorithmes et recrutements… Oui, mais jusqu’où ?

PerformanSe|3 min. de lecture|22 juin

Le développement des outils d’intelligence artificielle (IA) s’étend chaque jour à des domaines différents, et les métiers du recrutement n’ont pas fait exception à la règle. Avec de vraies perspectives potentielles – notamment en termes d’efficacité dans le tri de candidatures nombreuses par exemple – mais aussi de vraies questions quant à l’objectivité du processus, son éthique et son efficacité réelle.

Stéphanie Lecerf, DRH France de Page Group et Présidente de l’association A Compétence Égale, et Dominique Duquesnoy, Directeur Général de PerformanSe - membre l’association A compétence Egale - partagent ainsi leurs points de vue, très argumentés, sur les questions que pose l’usage d’algorithmes lors de recrutements internes ou externes.


Comment expliquez-vous le développement des algorithmes de recrutement ?


Stéphanie Lecerf (SL) : Nous disposons aujourd’hui potentiellement de beaucoup d’informations sur beaucoup de candidats… et de très peu de temps pour les traiter. Des outils qui permettent d’identifier et de traiter ces données rapidement sont donc très séduisants. D’autant que tous les recruteurs ont envie d’aller au-delà des CV, de tenter des approches nouvelles, de recruter sur la base d’informations différentes. Et que chaque recrutement est un pari, risqué par nature. Tout ce qui permet de sécuriser le processus – ou d’imaginer qu’on puisse le sécuriser – est donc logiquement bienvenu…

Dominique Duquesnoy (DD) : Dans des environnements mouvants et instables, les processus décisionnels sont de plus en plus complexes. Avoir envie d’impliquer d’autres facteurs, d’utiliser d’autres sources d’informations, de tenter d’autres approches est donc naturel. Le futur est toujours difficile à pronostiquer, et l’homme a toujours chercher à le prédire quand même ! Parfois avec des méthodes originales, ou par l’analyse de variables complexes…


Le recours aux algorithmes en recrutement vous semble-t-il aujourd’hui… utile, souhaitable, indispensable, contestable ? 


SL : Tout dépend de leur fiabilité et de l’usage qui en est fait. Pour moi, le recours à des outils de recrutement dit « prédictifs » par exemple pose de vraies questions. Parce que des biais discriminatoires peuvent apparaître à plusieurs niveaux selon la manière dont les algorithmes ont été écrits et configurés, selon la qualité et l’intégrité des données ou selon le fonctionnement des algorithmes eux-mêmes. Parce que les algorithmes travaillent sur des données disponibles donc, par nature, passées en se fondant sur des indicateurs de performance de personnes déjà en poste. Ce sont d’abord des machines à « reproduire ». Or, nous avons besoin aujourd’hui - plus que jamais - de diversité, nous avons besoin d’innover, nous avons besoin d’imaginer de nouvelles compétences pour des métiers connus, et de projeter des compétences connues dans des métiers nouveaux, là où justement il n’y pas d’historique. Mais aussi parce que les traitements sont toujours relatifs, et que leur objectivité apparente n’est qu’une façade en vérité…

DD : Un algorithme sans un esprit éclairé pour le guider est effectivement aveugle, mais un individu sans un outil pour l’aider est aussi souvent moins efficace. L’extraction de connaissances contribue à éclairer les prises de décision, à condition bien sûr qu’elle repose sur une analyse critique de son utilité dans le processus décisionnel. Car c’est vrai les connaissances extraites du « rétroviseur » ne sont pas toujours pertinentes pour éclairer la décision et toutes les données rassemblées n’expliquent souvent pas les performances futures. Il faut me semble-t-il gagner en précision sur les différentes formes de performance (à la tâche, contextuelle, adaptative) afin d’investiguer les facteurs contributifs.


Quelles seraient ainsi pour vous les principales erreurs à ne pas commettre ?


SL : Je crois que la principale erreur serait de croire que les traitements informatiques sont objectifs et fiables par nature. Parce qu’il n’y aurait pas de « biais » humains en jeu, contrairement à ce qui se joue dans les recrutements classiques. Or, c’est faux pour les raisons que j’évoquais précédemment. Le traitement même des données est certes identique, au sens où toutes les données en jeu seront traitées également, mais le choix des données, le paramétrage de l’algorithme, les instructions de traitement peuvent présenter de nombreux biais. L’autre écueil serait de penser qu’en tant que recruteur, nous ne sommes pas en mesure de comprendre le fonctionnement de ces outils. Il faut au contraire se les faire expliquer et se poser les bonnes questions avant d’y recourir.

DD : Pour moi, il y a une évidence à penser que si outils d’évaluation il y a... ils ont été construits dans les règles de l’art, selon des principes scientifiques éprouvés, afin de limiter notamment l’intrusion des biais cognitifs dans les résultats. L’erreur serait donc surtout de penser que l’algorithme peut ou doit se substituer à l’être humain. Il ne le remplace pas, il prend en charge certaines tâches simples – ici la recherche et le traitement d’informations - pour l’aider à se recentrer sur des activités plus essentielles telles que l’analyse, le partage, l’échange… et la décision !

Nous devons garder la pleine responsabilité de ce que nous faisons, de nos choix et de leurs motivations. 

Stéphanie Lecerf

Quelles sont donc pour vous les « bonnes pratiques » à respecter ?


SL : Pour éviter les biais, il faut veiller à une collecte loyale et pertinente des données, imposer une analyse et un contrôle réguliers des impacts du traitement et de ses biais potentiels, rendre les algorithmes auditables et garder une pleine maitrise du paramétrage des outils en ne recourant pas à l’apprentissage automatique. Au sein de l’association A Compétence Egale, nous avons élaboré une charte, qui rappelle ces principes et insiste également sur la transparence de la collecte des données concernées et la nécessité d’une information loyale aux candidats sur la manière dont ces informations sont utilisées. Et qui rappelle aussi l’importance de veiller à ce que les outils d’IA ne soient que des outils d’aide à la décision. Nous ne devons pas déléguer nos décisions de recrutement à des algorithmes mais conserver la pleine responsabilité de nos choix.

DD : Poser un cadre et des règles est bien sûr essentiel. Il faut rendre visible et explicite les processus en jeu, et se tenir à une forme « d’écologie de l’esprit » dans les usages qui en seront faits. Mais je crois aussi et surtout que nous devons tenter d’aller plus loin qu’un simple recrutement prédictif. Pourquoi ne pas chercher ainsi à concevoir et utiliser un algorithme qui prendrait en compte des facteurs de personnologie pour envisager de poser un regard neuf sur l’individu au travail ? En allant au-delà de qu’il a déjà fait et se projeter sur ce qu’il pourrait faire ?

Quels que soient leurs défauts et leurs limites, l’introduction de nouveaux outils constitue toujours une incitation à progresser, à se renouveler pour développer nos compétences les plus singulières. 

Dominique Duquesnoy

Croyez-vous que – avec le temps – les outils d’IA pourront malgré tout remplacer un jour les recruteurs ?


SL : Rien aujourd’hui ne permet de l’affirmer… ni de s’en inquiéter ! Le recrutement n’est pas le jeu d’échecs ni le jeu de go. Aucun algorithme ne permet par exemple à ce jour de mesurer de manière fiable les compétences comportementales des candidats. Mais ces outils peuvent être précieux pour augmenter l’efficacité des recruteurs, leur capacité à traiter plus rapidement l’information et aller au-delà des informations contenues dans des CVs. Il ne faut pas les opposer mais bien au contraire les associer.

DD : Non, bien sûr, mais ils pourront soutenir les recruteurs dans leurs choix en rassemblant pour eux une base d’informations plus riche. Et les accompagner au mieux en leur permettant de réaliser des activités plus stimulantes, de réflexion, de proposition ou de décision.


Qu’auriez-vous envie d’exprimer en conclusion ?


SL : Qu’il est très important – face aux questions inédites que pose le recours à l’IA en recrutement – de rester lucide et critique, et surtout d’assumer pleinement nos responsabilités. Nous ne pouvons pas nous cacher derrière l’outil. Quoi que l’algorithme propose ou suggère, nous sommes responsables en effet de ce que nous faisons de ces « propositions ». Face à nos clients internes, nos candidats, nos employeurs et nos pairs, nous devons préserver leurs droits fondamentaux et garder la pleine responsabilité de nos choix et de leurs motivations.

DD : Quels que soient leurs défauts et leurs limites, l’introduction de nouveaux outils constitue toujours une incitation à progresser, à se renouveler pour développer nos compétences les plus singulières… et nous recentrer sur l’essentiel !

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